Extrait_novembre
Chapitre 1
Thomas
J’aime bien le mardi matin. C’est le jour où la duchesse de Cavendish passe à la librairie pour acheter un livre au hasard. Mariée depuis cinq ans à un vieux bougre qui ne la comble pas de façon adéquate, elle a eu vite fait de collectionner les amants. Même si elle aura bientôt trente ans, elle est belle, déterminée et adore me faire la lecture pendant que je me repais de son corps.
Comme d’habitude, Peter, qui gère la librairie, la fait passer dans le petit salon du fond de la boutique. Elle entre et referme la porte derrière elle avant de me sourire.
— J’espère que vous avez la suite!
Je lui tends un roman interdit, bien salace, qu’elle lit à voix haute à chaque semaine pendant que je m’occupe d’elle. Visiblement intriguée par la suite du récit, elle s’empresse de retrouver le passage de notre dernière rencontre.
— À voix haute, lui intimé-je.
— À genoux à côté de mon lit, il m’accablait de caresses. Ce n’était pas assez. Après quelques questions et réponses souvent interrompues par de tendres baisers, je lui demandai s’il voulait passer avec moi et entre mes draps…
Je me positionne derrière elle et empoigne ses seins que je caresse par-dessus le tissu. Pendant qu’elle continue à lire une scène osée, je la pousse en direction de mon petit fauteuil et la fait asseoir. Elle écarte les jambes pendant que je trousse sa robe afin d’accéder à son intimité. Sa voix tremble quand j’entreprends de la caresser :
— Mon jeune amant s’enhardit à me mettre dans la main sa vigueur elle-même.
J’en ai bien envie aussi, mais ça devra attendre. Je suis rapide, précis, et le livre a vite fait de tomber sur la poitrine de la duchesse pendant qu’elle ferme les yeux. Elle geint en étouffant son râle, puis émet un cri en emprisonnant ma main entre ses cuisses.
— Vous êtes… un amant redoutable, monsieur Clifford.
Je me lève, avide de la suite, et la duchesse s’empresse de sortir mon sexe raide pour le caresser à bonne vitesse. J’adorerais la prendre par-derrière, mais ma règle est claire : je ne veux pas de bâtards.
— Vous voulez que je continue ma lecture? me questionne-t-elle.
— Inventez donc, madame la duchesse!
Elle continue d’effectuer des passages qui deviennent lascifs, puis s’empare du roman de sa main libre pour démarrer sa lecture:
— Cet attouchement eut son effet instantané : je sentis aussitôt les symptômes de cette douce agonie, de cette crise de dissolution où le plaisir meurt par le plaisir, et je me noyai dans des flots de délices.
— Oui, l’encouragé-je.
Elle accélère et je me permets de guider ses gestes pour éviter que ce moment s’éternise.
— J’y suis, l’avisé-je.
— Dans des flots de délices, répète-t-elle.
Je masque le devant de mon sexe quand il se met à cracher sa semence, puis je recule pour aller m’essuyer sur un bout de tissu que je garde dans la pièce justement à cet effet. Sans surprise, la duchesse s’est remise à la lecture et sa main est déjà sous ses jupes, pour de s’offrir davantage de plaisir.
— Je vois que vous êtes en forme, aujourd’hui, constaté-je.
— George est tellement avare en ce domaine, se plaint-elle. Il se contente de me secouer comme une poupée pendant trois misérables minutes avant de s’endormir.
Elle se met à haleter plus fort et j’avoue que le spectacle ne manque pas de charme, même si je l’ai vu régulièrement, ces derniers mois.
— Peut-être a-t-il une maîtresse?
— Hum…
Elle s’accorde la délivrance avant de déposer le livre sur une petite table d’appoint, puis redescend le bas de sa robe.
— Grand bien lui fasse, déclare-t-elle. Mais il vient néanmoins me rendre visite très régulièrement, la nuit. J’espère qu’il ne s’est pas mis en tête qu’on ait un autre bébé!
Je ne réponds pas, mais c’est possible. N’est-ce pas pour assurer leur descendance que les hommes se marient, généralement? Quand elle se redresse, elle vient se poster devant moi.
— S’il m’engrosse, allez-vous enfin me prendre comme j’en rêve?
Je hausse les épaules. Les femmes enceintes ne m’attirent pas particulièrement. Quand j’ai envie de relations plus physiques, je préfère aller voir les prostituées. Madame Greenwald me trouve toujours des filles intéressantes, dégourdies et plus entreprenantes.
— J’en doute, finis-je par répondre.
Elle soupire avant de replacer ses cheveux que je n’ai absolument pas touché.
— La prochaine fois, on pourrait monter à l’étage? me suggère-t-elle.
— Pour vingt petites minutes? raillé-je. C’est inutile. Autant régler la question ici.
Elle arbore une moue boudeuse dont je n’ai que faire. J’aime bien m’amuser avec les femmes mariées qui s’ennuient en compagnie de leur époux, mais je n’ai pas du tout envie qu’on m’impose quoi que ce soit.
Autrement, c’est moi qui serais marié!
— On se voit la semaine prochaine? demande-t-elle encore.
— Bien sûr. Vous savez où me trouver.
Elle fait papillonner ses cils dans un geste qui se veut probablement séducteur, mais que je considère ridicule. Quand elle sort du petit séjour et quitte la librairie, je vais rejoindre Peter Doyle, mon employé, mais surtout, un bon ami, qui me jauge d’un regard amusé.
— C’était rapide, constate-t-il.
— Chacun a eu ce qu’il voulait, à quoi bon étirer sa visite?
Il rit, puis lève les yeux au ciel.
— Un jour, Clifford, un mari viendra vous faire la peau!
Je hausse les épaules, nullement inquiet. Les nobles de cette ville sont généralement frileux à l’idée de créer un scandale. Quant aux épouses que je prends pour maîtresse, aucune n’a d’intérêt à ce que leurs écarts de conduite soient découverts. Elles risquent la répudiation. C’est pourquoi je m’assure qu’il n’y ait jamais de conséquences qui suivent ces petites rencontres hebdomadaires…
Chapitre 2
Emma
Depuis que je suis veuve, je savoure chaque journée de calme qui m’est accordée. Je suis bien consciente que cela ne durera pas, mais j’espère que Carlton, mon frère, qui est aussi le duc de Leeds, me laissera au moins terminer cette année de deuil avant de me promettre à un autre.
Comme tout frère, il m’a bien rappelé que si j’avais eu un enfant avec mon défunt mari, j’aurais eu le droit de continuer à résider dans notre résidence de Westminster. Mais comme mon ventre est resté vide après deux années complète de mariage, j’ai donc perdu ce privilège. C’est pourquoi j’ai été forcée de retourner habiter dans l’appartement de mon frère, à Mayfair, avec une simple rente qui ne me permet pas de rester seule. Quel dommage, d’ailleurs! Et je ne doute pas que mon frère veillera à me trouver un second époux dès que mon année de deuil sera terminée.
Comme je dois moins me montrer en société, j’en profite pour lire et écrire sur le petit secrétaire qui se trouve dans ma chambre. J’y passe pratiquement tout mon temps. Ma belle-sœur s’imagine que je prie pour l’âme de mon défunt époux et je ne la contredis pas. Cela me permet de quitter la maison une fois par semaine afin d’aller à l’église. Pas que j’en aie envie, en réalité, mais j’aime bien marcher dehors. Et maintenant que je n’ai plus besoin de chaperon, j’en profite pour flâner le long des rues afin de jeter un œil aux commerces.
Chaque semaine, je me risque à prendre un itinéraire différent, juste pour profiter de cette fausse liberté qui m’est accordée. Ma règle, c’est qu’il faut que je rentre avant l’heure du thé. Mais il m’arrive de ne faire qu’un petit saut à l’église avant de repartir profiter de l’agitation qui règne souvent dans les rues de Londres.
Un jour, alors que je bifurque vers une rue que je ne connais pas, je m’arrête devant la façade d’une petite librairie. Généralement, je n’entre jamais dans les commerces, mais je me surprends à pousser la porte afin de jeter un œil à l’intérieur. Au comptoir, un homme lève la tête et me sourit.
— Madame, bonjour!
— Bonjour. C’est ouvert? m’assuré-je.
— Bien sûr! Vous cherchez quelque chose en particulier?
— Euh… non. Je voulais juste… entrer pour voir…
De l’arrière de la boutique, un autre homme apparaît, puis il s’immobilise dès qu’il me voit. Son visage s’égaye.
— Madame, bienvenue! Puis-je vous faire visiter l’endroit?
Je me sens soudain inconfortable à l’idée d’être en présence de deux hommes sans aucun chaperon, et peut-être que le dernier arrivé le perçoit, car il reprend :
— Mais je manque à tous mes devoirs. Je suis Thomas Richard Clifford, duc de Devonshire.
Un duc? Voilà qui m’étonne. Il pointe l’homme derrière le comptoir d’une main.
— Et voici Peter Doyle. Nous sommes associés dans cette librairie.
L’intéressé opine.
— Madame.
— Eh bien… je suis… Emma Mortimer, comtesse de Wharton.
Je ne peux m’empêcher de songer que je ne le serai bientôt plus…
— Comme vous pouvez le constater à ma tenue, je suis actuellement en deuil de mon époux, Gregory Mortimer.
— Comte de Wharton, termine le duc. Je crois l’avoir déjà croisé dans une soirée, il y a quelques années. Je ne savais pas qu’il s’était marié. Ni qu’il était mort. Toutes mes condoléances, madame.
Je penche la tête en guise de remerciements.
— Je me disais que la lecture pourrait… m’aider à traverser cette période difficile, reprends-je.
Le duc me sourit.
— Et vous avez absolument raison, madame la comtesse. La lecture est souvent la solution plusieurs de nos problèmes.
Plus confiante, je rétorque :
— Je suis bien d’accord avec vous!
— Alors? Dites-moi tout! Cherchez-vous un titre en particulier ou aimeriez-vous que je vous suggère quelque chose?
Je laisse mon regard balayer l’endroit.
— Je doute que vous ayez tout lu, le taquiné-je.
— En effet, mais je peux vous assurer que j’en ai lu plusieurs. Vous désirez un titre qui traite du deuil ou plutôt une histoire qui vous permettra de vous évader? Un traité? Un roman?
— J’aimerais mieux un roman, lui réponds-je. Quelque chose qui me permettrait de m’évader.
— Excellent choix.
Je le suis devant une énorme bibliothèque et il me pointe certains livres qu’il me résume avec verve. Ceux que je connais, je le lui indique, ce qui est assez fréquent.
— Ma foi, vous semblez être une grande lectrice, constate-t-il.
— Disons que j’ai toujours aimé la lecture et que j’ai le temps de le faire depuis…
Je laisse la fin de ma phrase en suspens et baisse le regard, comme il est coutume de le faire.
— Ma librairie est assez particulière, madame la comtesse, m’avoue soudain le duc. Il se trouve que j’ai ici des titres qui sont… plutôt rares.
Je le scrute avec intérêt.
— Oh?
— Mais nous verrons cela dans un autre temps. Pour aujourd’hui, voici ce que je vous suggère.
Il sort quelques livres, des romans, des essais est un recueil de poésie qu’il pose sur une table basse. Je les feuillette avant d’admettre :
— C’est que… je ne pensais pas trouver votre commerce, alors… je n’ai pas songé à apporter d’argent.
Le duc sourit.
— Ne vous souciez donc pas d’un tel détail, madame. Prenez ce qui vous plaît et rapportez-les-moi simplement la semaine prochaine. À partir de vos goûts, je pourrais peut-être vous suggérer des lectures, disons… plus audacieuses?
Le mot me fait froncer les sourcils. Est-ce qu’il propose de me prêter des livres interdits? Comme je reste silencieuse, il s’empresse de reprendre ses mots :
— Je vois. Nous resterons sages, alors. Il n’y a aucun problème.
Je suis étonnée par la façon qu’il a de retirer son offre sans être le moindrement contrarié. Malgré moi, je serre les dents devant le mot « sage ». J’ai toujours détesté ce mot, même si je me suis toujours appliquée à l’être.
Alors que je prends deux livres parmi ceux que le duc m’a proposé, je demande :
— Est-ce que je dois vous donner mon adresse ou…?
— La veuve Mortimer. Je crois qu’il me sera assez simple de vous retrouver, madame. Dans mon souvenir, sa résidence se trouvait à Westminster.
— Elle y est toujours, mais je n’y habite plus. Je suis désormais chez mon frère, le duc de Leeds. La maison se trouve à quelques rues d’ici.
Il arque un sourcil intrigué, mais ne pose aucune question. Il a certainement compris que je ne suis pas une douairière. Ses yeux descendent le long de mon corps, probablement pour observer ma robe de veuve qui est toujours noire. Il est d’usage de changer de couleurs au cours de l’année, mais tant que mon frère ne m’y oblige pas, autant rester dans cette tenue qui me préserve de sortir en société.
— Nous sommes donc le jeudi matin, dit-il encore. Revenez me voir la semaine prochaine.
— Oh? C’est que… je ne sais pas si j’aurai terminé ma lecture.
— Si ce n’est pas le cas, passez simplement pour en discuter, voilà tout.
Il me sourit et je me surprends à le trouver bel homme. Je prends les deux livres que je serre contre moi avant de marcher en direction de la sortie. Derrière le comptoir, l’homme me salue d’un signe de tête.
— Madame.
— Bonne journée, dis-je poliment.
Je sors sur la rue, inquiète de voir l’un des hommes me courir après pour me traiter de voleuse, mais rien n’arrive. Je cherche la rue principale avant de retrouver le chemin qui me ramène en direction de la maison.
Et même si je garde un visage neutre, j’ai quand même la sensation d’avoir vécu une petite aventure…