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Chapitre 1
[Romy]
Comme tous les vendredis soir, je me rends chez Clara pour notre souper hebdomadaire entre filles. Flo nous y rejoint aussi. Toutes les trois, nous commandons à manger en buvant quelques verres de vin et nous profitons de ce moment ensemble pour parler de nos vies, de nos ressentis, de nos échecs aussi. La plupart du temps, il n’y a rien à raconter, sinon quelques anecdotes de travail, mais généralement, nous partageons tout par Messenger, car nous nous transmettons régulièrement des messages vocaux.
Depuis notre rencontre qui date du secondaire, nous formons un groupe soudé dont je ne me passerais plus. Nous avons choisi le même CEGEP afin de rester ensemble. Et comme nos formations nous menaient à des endroits différents, à l’université, nous avons mis en place ces vendredis soir entre filles. Désormais, c’est sacré. Ou presque ! Il arrive que l’une de nous doive annuler pour le travail ou pour un week-end en dehors de la ville, mais la plupart du temps, nous nous retrouvons soit chez Clara, soit chez Romy. Rarement dans un restaurant. Comme nous parlons souvent de choses privées, il est plus simple de se voir dans un lieu où personne ne peut entendre nos confidences.
Surtout ce soir.
Même si Clara avait un tournage de prévu, elle a trouvé quelqu’un pour la remplacer in extremis afin de venir me soutenir.
La raison ? Billy est parti. Il est rentré, hier en fin d’après-midi, pour m’annoncer que c’était terminé entre nous. Deux valises et un sac de sport plus tard, il est sorti de mon appartement et de ma vie. Juste comme ça.
J’aurais dû me douter que ça se terminerait ainsi, nous deux. Il était beau, il aimait les soirées bien arrosées et, surtout, il aimait séduire. Comment ai-je pu croire qu’il me serait fidèle ? N’est-ce pas de notoriété publique que les acteurs ont besoin de changer régulièrement de conquête ? Dire que je croyais qu’au bout de six mois de relation, j’avais enfin trouvé le gars qu’il me fallait.
Quelle idiote !
— Il n’était pas fait pour toi, me répète Flo.
Je la toise du regard.
— Tu aurais pu me le dire avant !
— Impossible ! Tu le voyais dans ta soupe !
Je bois une gorgée de vin, agacée par sa remarque, mais possible qu’elle dise vrai. J’étais tellement amoureuse de Billy ! Mais nos meilleures amies ne sont-elles pas censées nous montrer les failles des gars qu’on choisit ? Dès que je vérifie du côté de Clara, elle secoue la tête.
— Moi, je préfère ne pas m’en mêler. Vous pourriez me dire que tel gars n’est pas pour moi, ça ne changerait absolument rien à ma décision ! C’est ma vie, après tout !
— Oui, mais toi, tu ne vis jamais rien de sérieux, de toute façon ! Riposté-je.
Elle hausse les épaules.
— T’as qu’à faire comme moi et puis voilà !
Je retiens mes propos, mais faire comme Clara signifie baiser n’importe qui sans se soucier du lendemain. Devant la grimace que j’affiche, elle insiste :
— T’as eu quoi ? Trois amants dans ta vie ? Quatre avec Billy ? C’est quoi cette idée de vouloir se marier sans avoir testé plein de queues ? Sans savoir ce qu’est un bon amant ? Si ça se trouve, ton Billy se regardait dans le miroir pendant qu’il te baisait tellement il s’aimait lui-même !
Si sa riposte me choque, je le suis davantage quand Flo étouffe un rire que je questionne aussitôt.
— Quoi ?
— Eh bien… c’est vrai qu’il se regardait souvent dans le miroir, me fait-elle remarquer.
— C’est un acteur ! Il aime se montrer sous son meilleur jour, c’est tout !
Clara roule les yeux pour me montrer qu’elle n’en croit rien. Pourquoi est-ce que je défends Billy ? Il ne le mérite pas, après tout !
— Qu’il aille au diable ! Sifflé-je.
— En plus, je suis sûre qu’il était nul au lit ! Rétorque Clara.
Je ne réponds pas, parce que le fait qu’il soit parti avec une femme plus jolie et plus jeune que moi me donne envie de pleurer. Je ne suis pas la plus dégourdie en ce domaine. Je m’en rends compte à chaque fois que Clara nous raconte ses baises torrides. Elle, les gars la rappellent toujours, mais elle ne veut rien savoir d’une relation à long terme. Elle est volage et elle s’assume. Depuis que nous sommes au CEGEP, elle flirte constamment. Elle aime séduire et elle ne s’en cache pas.
— C’est quoi cette manie de vouloir à tout prix être en couple à votre âge ? Soupire encore Clara. Vous n’avez qu’une vie à vivre !
— Hé ! On a bien le droit de vouloir construire quelque chose ! Rétorque Flo.
Parfois, ça me saute aux yeux à quel point nous sommes différentes, toutes les trois ! Flo est un modèle de sagesse. Elle a rencontré Sergio via une application de rencontres et, au bout d’un an de relation, il lui a fait la grande demande. Désormais, ils habitent ensemble et vont probablement se marier l’an prochain. À vingt-huit ans, elle est déjà pratiquement casée ! Quant à Clara, c’est tout l’inverse ! Elle ne veut rien savoir du grand amour ! Je la soupçonne même de ne pas y croire, en fait.
Et puis, il y a moi qui espère vivre le conte de fées. Je ne sais pas pourquoi, mais ça ne fonctionne jamais. Je me retrouve toujours avec le cœur brisé, au bout de quelques mois, à ne rien comprendre de ce qui n’a pas marché. Pourtant, j’étais sûre que Billy était l’homme qu’il me fallait…
De toute évidence, j’avais tout faux.
— Allons… il y en aura d’autres, tente de me rassurer Flo.
— Oublie donc ces histoires d’amour ridicules, riposte Clara. Baise, bon sang ! Amuse-toi un peu ! Avant trente ans, moi je dis qu’on ne devrait jamais se satisfaire d’un seul gars !
Flo la rabroue du regard.
— Qu’est-ce que tu racontes ?
— On a vingt-huit ans, les filles ! On est encore censées découvrir ce dont on rêve !
— Je voudrais trouver quelqu’un en qui avoir confiance, soupiré-je tristement.
— C’est en toi que tu devrais avoir confiance ! Peste aussitôt Clara. Tu n’es pas une moitié de quelque chose, compris ? Tu es un tout ! Et si tu penses qu’avoir un gars va t’apporter autre chose que des soucis, tu rêves, OK ?
— Quelle pessimiste ! Constate Flo.
Je hoche la tête pour montrer que je suis d’accord avec elle. Je sais bien que Clara n’est pas portée sur l’amour, mais de là à ne voir qu’un paquet de troubles du côté des hommes, elle exagère !
— Vas-y, Flo, l’encourage Clara sur un ton railleur. Dis-nous à quel point Sergio s’occupe bien de toi. Est-ce qu’il t’offre encore des fleurs maintenant que vous habitez ensemble ? Est-ce qu’il te baise plus longtemps que dix minutes ou il fait déjà sa petite affaire avant de s’endormir en moins de deux ?
Flo paraît mal à l’aise, mais ça peut être pour des tas de raisons. Le fait de devoir parler de sexe devant nous, déjà. Clara le fait tout le temps, mais je présume que c’est bien plus intimidant quand nous sommes en relation depuis aussi longtemps que Flo et Sergio.
— Ce n’est pas toujours parfait, c’est vrai, concède-t-elle, mais quand je rentre chez moi, il y a quelqu’un qui m’attend.
Clara la pointe de l’index, l’air satisfait.
— Tu n’es même pas mariée avec lui que je suis sûre que tu lui as déjà trouvé plein de défauts !
— Il n’a pas plein de défauts, la contredit Flo. Mais toi, tu sors quand tu as envie de baiser et tu rencontres des gars dans le même mood que toi, c’est normal que ça fonctionne plus facilement de ce côté-là. Le jour où tu n’es pas d’humeur, tu ne sors pas et c’est la fin de l’histoire. En couple, ça ne fonctionne pas ainsi !
— Nah, tu dois t’ouvrir les cuisses pour le laisser faire sa petite affaire, c’est ça ? Peste Clara. Hop ! Trois minutes et c’est bouclé !
— Hé ! Je te défends de présumer de ma vie sexuelle ! S’énerve Flo.
Clara inspire longuement par le nez et je vois qu’elle se retient pour ne pas s’emporter.
— Tu as raison, pardon, finit-elle par lâcher, mais sous prétexte que je n’ai pas envie de me caser ou que je suis la garce du groupe…
— Franchement ! On ne pense absolument pas ça ! L’arrêté-je.
D’un geste de la main, elle me fait signe de me taire, mais garde les yeux rivés sur moi.
— Je suis quand même celle qui baise le plus, on ne va pas se mentir ! Et ce que je veux dire, Romy, c’est… qu’est-ce que tu attends vraiment de la vie ? Te trouver un gars, te marier, faire des enfants et espérer la retraite pour faire un super voyage ? Et si tu faisais le contraire, plutôt ?
Ses yeux se tournent en direction de Flo.
— Je ne veux pas entendre la réponse, mais sois un peu honnête et demande-toi si Sergio est le gars parfait pour toi. Si c’est avec lui que tu veux réellement te marier et faire des enfants ? N’as-tu pas d’autres ambitions, Flo ? Des rêves ? Je pensais que tu voulais écrire un livre ?
Avant que Flo ou moi ne trouvions quelque chose à dire, Clara fait un geste de la main.
— Ne me répondez pas. De toute façon, vous n’avez pas à me convaincre. C’est votre vie, après tout. Vous pouvez bien la gâcher comme vous voulez. De mon côté, je n’ai qu’un seul conseil : trouvez ce qui vous fait vibrer ! Et à ce propos…
Elle se lève et va dans sa chambre avant de ramener un petit sac cadeau qu’elle pose devant moi. Comme je n’ose pas y toucher, elle insiste :
— Ouvre, allez ! J’ai fait un détour juste pour trouver ce modèle. Tu m’en donneras des nouvelles !
Je me décide à sortir la petite boîte du sac avant d’éclater de rire. J’aurais dû me douter que Clara m’offrirait un vibromasseur ! Elle est tellement portée sur le sexe que c’était une évidence qu’elle finirait par m’en offrir un ! Depuis le temps qu’elle m’en parle !
— Comme ça, tu ne seras pas pressée de tomber dans les bras de ton futur prince charmant. Crois-en mon expérience, une femme comblée est bien plus avisée quand il est temps de choisir l’élu de son cœur. Et je t’ai même mis des piles dedans ! Il est prêt à l’emploi !
À ma gauche, je remarque le visage écarlate de Flo. Vu comme j’ai chaud, le mien doit l’être tout autant.
— Tu veux trouver un gars génial ? reprend Clara. Alors assure-toi qu’il te fait jouir aussi bien que ce jouet. Il n’y arrivera pas aussi vite, évidemment, mais ça te donnera un point de comparaison. Et même sans ça, tu verras qu’après trois ou quatre orgasmes, tu dormiras mieux. Grâce à ce vibromasseur, tu ne seras pas tentée de ramener le premier gars qui sait où se trouve ton clitoris dormir chez toi. Un bon amant, ce n’est pas un bon chum. Ne l’oublie pas.
Son conseil me fait déglutir nerveusement, ou alors c’est ce jouet que je ne suis pas sûre de vouloir utiliser. Ce sont les vieilles filles qui en ont besoin, non ?
— T’as des jouets, toi ? Demandé-je à Clara.
— Mais oui ! J’en ai plein ! m’assure-t-elle. Et lui, c’est la version soft. Les filles aiment bien quand ça va à l’intérieur, mais je trouve que c’est plus ou moins utile, en fait. Si tu veux passer au niveau suivant, achète-toi directement un stimulateur clitoridien. Tu vas voir, en moins de deux, tu vois des étoiles !
Elle se met à rire.
— Croyez-moi, les filles, il n’y a pas un homme qui peut atteindre ce niveau de perfection !
Troublée, je lâche :
— Si c’est vrai, alors… pourquoi tu baises aussi souvent ?
— Pour le fun ! Rétorque-t-elle comme si c’était une évidence. Séduire, c’est agréable. Et puis, même si je sais m’occuper de la technique, j’aime bien quand on le fait à ma place, pas vous ?
Je n’ose lui répondre et Flo ne dit rien non plus. Voilà qui n’est guère étonnant, puisqu’elle nous parle rarement de sa vie sexuelle. Au début de sa relation avec Sergio, elle nous disait à quel point il était romantique, mais depuis qu’ils habitent ensemble, c’est devenu son jardin secret. Quant à moi, Billy aimait bien que je le caresse ou que je le suce quand nous étions dans des lieux inusités : dans les toilettes d’un resto, dans la voiture, dans une ruelle sombre, mais c’était rare qu’il me rende la pareille. Enfin… il me touchait jusqu’à ce que ça m’excite, mais il ne m’offrait jamais l’orgasme. Et en privé, il n’était pas des plus généreux non plus.
Est-ce une bonne chose que ce soit terminé ?
Dans un soupir, j’avoue :
— Billy était tellement beau ! Où est-ce que je vais trouver un gars aussi sexy ?
Clara éclate de rire.
— Vu comme il était égocentrique, je suis sûre que tu peux en trouver dix par semaine qui seront mieux que lui !
Devant mon air étonné, elle insiste :
— Pour le cul, du moins. Pour le reste… tu verras ça plus tard. Une fois que tu tombes amoureuse, de toute façon, il devient toujours le plus beau, non ?
Flo grimace avant de vider son verre de vin. Dès que Clara essaie de lui en resservir, elle refuse d’un geste.
— Je crois que je vais rentrer.
— Ah, sage petite Florence, la nargue Clara.
Dès qu’elle se lève, Flo se tourne vers moi.
— Si tu as besoin de quelque chose, n’hésite pas, tu veux ?
— Promis, dis-je.
— Pense quand même à ce que je t’ai dit, raille Clara.
Pendant que Flo enfile son manteau, je remets mon drôle de cadeau dans son sac avant de me redresser à mon tour.
— Je vais y aller aussi.
— Tu vas te servir du vibro, au moins ? Me questionne Clara.
Je hausse les épaules pour éviter de mentir. Me satisfaire d’un bout de plastique ? Ne suis-je pas suffisamment déprimée comme ça ?
— Tiens, on devrait aller danser, me propose Clara. Tu t’habilles sexy et tu vas faire lever quelques queues à la discothèque. Tu vas voir, c’est flatteur !
Je ravale un soupir de découragement et je fais signe à Flo de m’attendre deux minutes. Autant partir avec elle pour éviter de me retrouver coincée à écouter Clara me parler de ses baises mémorables.
— Tu dois montrer à ton corps qu’il est vivant, insiste ma copine. Séduire, c’est super bon pour le moral !
Contre toute attente, Flo l’appuie :
— Elle n’a pas tort.
— Et puis, Billy t’a sûrement déjà trompée des tas de fois, insiste Clara. S’il est parti avec cette fille, c’est qu’il a dû magasiner pas mal, avant !
Ça aussi, je me suis posé la question, mais je n’ai même pas eu le courage de le lui demander quand il a décidé de mettre fin à notre relation.
— Les hommes, tous des salauds, résumé-je.
— Mais non ! rigole Clara. Ils aiment séduire, c’est tout. Et rien ne t’empêche d’en faire autant ! De toute façon, il est hors de question que tu le pleures plus que 48 heures ! Tiens, demain soir, on sort ! Tu verras que tu peux trouver mieux que cet idiot !
Je ne dis rien, mais devant le sourire de Flo, je commence à croire que c’est peut-être une bonne idée. Pas de coucher avec le premier venu, non, mais voir du monde. De flirter, danser et m’amuser aussi. Il faut bien que je tourne la page, après tout.
Chapitre 2
[Flo]
Certains jours, Clara m’énerve prodigieusement ! En tant qu’éternelle célibataire, elle n’arrête jamais de sous-entendre que je me suis engagée trop vite avec Sergio. Que je n’ai pas assez baisé pour savoir reconnaître un bon amant d’un mauvais. À l’entendre, tout ne passe que par le cul.
Mais l’amour, ça compte aussi, il me semble !
Je rentre en taxi, comme chaque fois que je vois les filles. Nous buvons toujours plus que permis, mais ce soir, j’avoue me sentir amère. Sous prétexte que Romy est à nouveau célibataire, je n’ai pas envie de remettre ma vie en question. Je suis bien avec Sergio. Peut-être que notre vie est trop simple pour Clara, mais elle m’apaise. Je n’ai pas à chercher quelqu’un avec qui construire ma vie, je l’ai trouvé. La preuve : nous comptons nous marier l’été prochain, même s’il serait temps qu’on choisisse une date…
Dès que j’entre chez moi, mon téléphone vibre. C’est toujours les filles. Avec Messenger, c’est comme si nous n’en finissions pas de discuter, elles et moi.
Clara
En passant, Flo, tu devrais venir danser avec nous, demain soir !
Ça me flatte qu’elle m’invite, mais j’ai toujours été gauche sur une piste de danse. Quand je les accompagnais, plus jeune, je détestais ça. Et maintenant que je n’ai plus à le faire, je refuse sans hésiter.
Flo
Sans moi, mais amusez-vous bien et prenez des photos !
Clara
Promis !
Je vais au salon et je retrouve Sergio, installé devant la télé, une bière calée entre les cuisses. Il regarde les nouvelles du sport, comme tous les soirs.
— Salut, dis-je.
— Salut. Ça s’est bien passé avec les filles ?
— Pas trop mal.
Il tourne les yeux vers moi pour demander :
— Et Romy ? Ça va ?
Je hausse les épaules et fais quelques pas vers lui.
— Elle n’a pas le moral, c’est sûr, mais Clara l’a invité à danser, demain soir. Elle dit que flirter l’aidera à faire son deuil de sa relation avec Billy.
Je passe sous silence le cadeau ridicule qu’elle lui a donné, mais comme Sergio connaît Clara, il rétorque :
— Elle va lui dire de se trouver un amant et que ça lui passera dans la semaine.
Même si je ne dis rien, je pince les lèvres pour ne pas me mettre à rire. Pour cause ! C’est assez proche du conseil que lui a donné Clara.
— Billy, ce n’était pas un gars fiable, reprend Sergio. Elle trouvera mieux.
C’est étrange que tout le monde sache que Billy n’était pas un bon gars. Pourquoi n’est-ce que maintenant que tout le monde l’admet ?
— Les acteurs, de toute façon, à moins d’être très populaire, ça ne gagne jamais bien sa vie, dit-il encore. Et puis, c’était un courailleux. L’autre jour, au BBQ, il n’a pas arrêté de me montrer les belles filles en faisant des petits commentaires déplacés.
Alors qu’il reporte son attention sur la télévision, je m’installe sur le rebord du canapé avant d’insister :
— Et tu me racontes ça juste ce soir ?
Il grimace.
— Bah, Romy est ton amie. Quand bien même je t’aurais raconté ça, tu aurais osé le dire à ta copine ? Elle l’aimait tellement qu’elle ne t’aurait sûrement pas cru.
Je ne réponds pas, parce que je ne suis pas sûre que j’aurais eu le courage d’aborder le sujet avec elle. Pourtant, Romy et Clara sont mes meilleures amies. Est-ce que je ne devrais pas être capable de leur dire ce que je pense vraiment ? La plupart du temps, je le fais, évidemment ! Mais si c’est pour les faire souffrir, à quoi bon ? Je ne veux pas être responsable de leur malheur…
Alors que Sergio porte sa bière à ses lèvres et rive son attention sur l’écran de la télévision, je ne peux m’empêcher de songer aux mots de Clara. C’est vrai qu’elle m’énerve souvent, mais sa question n’en est pas moins dérangeante. Tout ça : cet appartement et ma vie avec Sergio, est-ce vraiment ce que je veux ? Après mes études en littérature, je me suis trouvé une place de réceptionniste dans un cabinet de dentistes et j’ai remisé cette idée d’écrire un roman. Avec Sergio, mon travail et mes vendredis soirs avec les filles… il me semble avoir trouvé un bel équilibre.
Mais ai-je seulement envie de vivre ça jusqu’à la fin de mes jours ?
Je me doute qu’après le mariage, Sergio et moi aurons des enfants. Les journées seront plus chargées. Elles passeront sûrement plus vite aussi, mais… est-ce réellement la vie dont je rêve ?
— Est-ce que tu es heureux, Sergio ?
Il grimace avant de ramener des yeux surpris vers moi.
— Hein ? C’est quoi cette question ?
— Est-ce que notre vie te convient ?
Son visage se défait.
— Mais… oui ! Pourquoi tu me demandes ça ?
J’hésite avant d’admettre :
— Je vais bientôt avoir trente ans et… Clara nous a sous-entendu qu’il était temps qu’on s’assure qu’on n’était pas en train de gâcher nos vies.
Lorsque Sergio écarquille les yeux, je tempère aussitôt mes propos :
— Je ne dis pas ça pour nous, hein ! Mais toi, est-ce que tu rêvais réellement de vendre des voitures ?
— Bien sûr que non ! Je voulais être pilote de courses, tu le sais ! Mais on grandit, et on apprend vite qu’on ne réalise pas toujours ses rêves de jeunesse…
Je n’ose lui demander si ça lui suffit de vendre des voitures. Peut-être que c’est le cas. Et moi ? Est-ce que mon travail de réceptionniste me convient toujours ? Je voulais écrire un roman quand je suis entrée à l’université. J’avais toujours des tas d’idées que je mettais de côté sous prétexte que l’inspiration viendrait plus tard, quand j’aurai vécu quelque chose… mais ça doit faire au moins cinq ans que je n’ai pas ouvert un fichier Word pour autre chose que pour écrire des notes de services au travail…
— Je voulais devenir auteure, annoncé-je à Sergio.
Il fronce les sourcils et étouffe un rire.
— Auteure ? Mais… ce n’est pas un travail, ça ! Je doute que ça rapporte beaucoup.
— Il n’y a pas que l’argent dans la vie, lui fais-je remarquer.
Dès qu’il grimace, je balaie la discussion d’un signe de la main.
— Laisse tomber.
Je fais un pas en direction de la cuisine quand il m’arrête.
— Hé, Flo ! Tu me ramènes une bière ?
Il me tend sa bouteille vide que je prends avant d’aller la ranger. Lorsque je lui ramène sa bière, je ne peux pas m’empêcher de me reposer sérieusement la question de Clara.
Est-ce vraiment la vie que je souhaite ?
Chapitre 3
[Clara]
Je me doute que j’ai énervé les filles, hier soir, mais il est hors de question que je compatisse au chagrin de Romy. Billy est parti ? Bon débarras ! Chaque fois qu’on se voyait, il me bouffait des yeux et ma copine ne s’en rendait même pas compte ! Beau ou pas, je ne suis pas une salope. Je ne baise pas avec les chums de mes amies. Ce n’est pas les queues qui manquent dans ce monde, après tout !
Suis-je surprise qu’il l’ait trompée ? Du tout ! J’espère seulement que Romy utilisait toujours des capotes !
Pour le principe, même s’il est tard, je transmets un message vocal sur notre groupe de filles :
— Hé, Romy ! Il vaut mieux que tu fasses un test pour t’assurer que Billy ne t’ait pas refilé une maladie !
Au bout de quelques secondes, sa réponse revient :
— On se protégeait, mais c’est quand même prévu. J’ai rendez-vous au gynéco la semaine prochaine.
J’appuie sur le bouton pour enregistrer un nouveau message vocal que je laisse s’envoler dès que j’en ai terminé.
— Vive les capotes !
Je rigole en imaginant la tête des filles en écoutant ça. Pendant que je réponds à quelques emails sur mon ordinateur, je songe à l’endroit où je dois emmener danser Romy. Je n’ai pas envie d’une discothèque bas de gamme. Il vaut mieux viser quelque chose de classe, où on pourra s’habiller sexy sans qu’un imbécile nous colle au cul même quand on lui aura dit non.
— Tiens, y’a une nouvelle discothèque dans le centre-ville, annoncé-je. Elle est super bien cotée sur Google. Ça te dit qu’on y aille, Romy ? Mais tu peux nous accompagner, hein, Flo !
Flo est la première à répondre :
— Aucun intérêt ! L’idée même de me mettre en robe me fait grimacer.
Je sursaute devant l’idée qui m’anime :
— Romy, viens donc chez moi pour qu’on se prépare ensemble. J’ai une robe super sexy que je pourrais te prêter ! On pourra boire un verre avant d’y aller.
J’attends et c’est long avant que l’intéressée se manifeste :
— En fait, j’ai peur que cette sortie me déprime, nous confie-t-elle.
— J’ai une robe qui coûte la peau du cul, la rabroué-je. Tu vas faire bander tous les gars de la place. Allez, quoi ! Ne fais pas ta chieuse ! Tu vas bien plus déprimer en restant chez toi, surtout que Billy sera probablement avec sa nouvelle blonde.
J’attends, mais mes mots ont vite fait de la raisonner.
— T’as raison. Je vais y aller, mais ne m’engueule pas si je ne suis pas super enthousiaste, OK ?
J’hésite avant de répondre :
— Promis !
Je dépose mon téléphone sur mon bureau et je vais me planter devant mon armoire. J’adore les vêtements, les tissus et les robes. L’idée d’habiller ma copine, de la coiffer et de la maquiller me donne envie de rire. Une séance à la Pretty Woman ne peut que lui faire du bien, après tout !
Chapitre 4
[Romy]
J’ai probablement trop bu, parce que je passe mon temps à tourner en rond dans mon lit, à me maudire de ne pas avoir vu les signes avant-coureurs avec Billy. Pourquoi ai-je accepté de sortir avec Clara, demain soir ? Elle va me faire boire et me répéter que je dois baiser avec un autre gars, ne serait-ce que pour faire une coupure avec Billy. Pourquoi ça m’embête ? Lui, il ne s’est pas gêné pour me tromper, après tout ! Et puis, ce n’est pas comme si j’étais prête à le reprendre, non plus ! Même s’il revenait en rampant, plus jamais je ne serais capable de lui refaire confiance.
C’est surtout ça qui m’inquiète, d’ailleurs.
Comment vais-je pouvoir accorder ma confiance à un autre après une telle déception ?
Les yeux rivés au plafond, je constate que je n’ai pas assez bu, parce que j’ai l’esprit suffisamment éveillé pour me traiter de tous les noms. J’essaie de relativiser en me remémorant que ça ne faisait pas tout à fait six mois que j’étais avec Billy. Peut-être que je n’avais pas ce qu’il voulait ? Qu’il aime les femmes plus entreprenantes ? Plus sexy aussi ?
Dans un grognement, je me lève et j’allume, même si cela me fait grimacer. Je me poste devant le miroir de ma commode et je vérifie ce dont j’ai l’air. J’ai les cheveux tout plats et le teint fade. De profil, je ne me trouve pas vilaine. J’ai même de jolis seins. Dans un soupir, je m’affaisse et grimace. Je ne suis pas laide, et alors ? Des femmes mignonnes, il y en a plein ! Et pour Billy qui travaille à la télé, il y en a même trop ! Quelle idée de sortir avec un acteur ! Je ne peux pas rivaliser contre ces filles trop maigres dont les seins et la moitié du visage sont entièrement refaits par la chirurgie plastique !
Pour masquer ma tête de déterrée, j’éteins, puis je rallume dès que je remarque quelque chose sur le coin de ma commode. Je reconnais le sac cadeau que m’a offert Clara. Je grimace et j’éteins de nouveau, mais au lieu de me remettre au lit, j’hésite. Il me faut un bon vingt secondes avant d’avoir le courage de ramener la lumière dans la pièce. Je me décide à récupérer la boîte qui contient le vibromasseur. Connaissant les goûts de luxe de ma copine, je me doute qu’elle ne m’a pas pris le plus cheap. Au bout d’une hésitation, je me décide à déballer le jouet qui a la forme d’un sexe en plus lisse. Dès que je fais pivoter la base, il se met à vibrer. Plus je tourne, plus c’est fort. J’ai déjà touché des vibromasseurs dans des enterrements de vie de jeune fille et dans des sex-shops, mais je n’en ai jamais eu un à moi. Ça me gêne de l’utiliser, même si je suis seule.
Pendant que je frotte le jouet dans la paume de ma main, j’ai la sensation d’entendre la voix de Clara dans ma tête me dire qu’à vingt-huit ans, il serait peut-être temps que j’essaie ! J’inspire profondément, puis je me décide à me relever pour aller nettoyer mon nouveau cadeau avec une eau savonneuse. Je me sens ridicule face à ce que je m’apprête à faire, mais Clara certifie que je dormirai mieux après deux ou trois orgasmes. Je pourrais me les donner avec les doigts, bien sûr, mais ça fait un moment que je n’ose plus le faire. Est-ce que ça ne devrait pas être quelque chose que font uniquement les gens seuls ?
J’expire devant mon constat : je suis seule, maintenant.
De retour dans ma chambre, j’éteins avant d’emmener mon nouveau jouet avec moi. Je l’active doucement et je le fais glisser sur mes seins, puis sur mon ventre. Sans retirer ma culotte, je viens le passer sur mon pubis, puis j’écarte les cuisses afin d’effleurer mon clitoris avec les vibrations. Au bout de trois passages, je me tends. Hé ! Ce n’est pas mal du tout ! Je recommence jusqu’à ce que le geste devienne régulier. J’appuie plus fort sur le tissu de ma culotte afin de me faire vibrer davantage. Je serre les dents avant de sentir les prémices de l’orgasme. Quoi ? Déjà ? Oubliant mes réserves, je frotte l’embout du vibromasseur franchement sur mon clitoris jusqu’à ce que me tende dans un soubresaut agréable.
Il me faut quelques secondes avant de revenir à moi. Bon sang ! Ce jouet est tellement rapide ! Au lieu de le ranger, je le ramène là où tout est soudain plus sensible. Cette fois, la culotte m’énerve et je m’empresse de la retirer. Dès que je retourne poser le vibromasseur près de mon clitoris, tout s’enflamme dans mon corps.
— Oh !
Je dois déplacer l’objet pour éviter de perdre la tête aussi rapidement. Je me risque à venir l’introduire à l’intérieur. Ainsi, je peux gérer la profondeur, le rythme, et je me permets d’augmenter les secousses. Dès que je reviens sur mon clitoris, j’écrase le jouet dessus et je l’emprisonne entre mes cuisses dans un cri étouffé.
Je reviens à nouveau à moi, incapable de ne pas sourire ce nouvel orgasme. Ça alors ! Je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi efficace ! Dans un clic discret, je le fais cesser de vibrer et je m’empresse d’aller le nettoyer. Devant mon reflet, je ris. Je ne suis pas sûre que je dirai la vérité à Clara concernant ce que j’ai fait avec son jouet, mais quelque chose me dit qu’elle n’a pas tort : je vais bien mieux dormir maintenant !
Chapitre 5
[Clara]
Dès que Romy me rejoint chez moi, je lui montre les robes que j’ai mises de côté pour elle. Ça fait une éternité que je ne me suis pas préparée avec quelqu’un. Tout en buvant un peu de vin, on essaie des robes, des chaussures, puis on se coiffe et on se maquille. J’ai la sensation d’avoir dix-huit ans à nouveau !
Alors que je tente de lui verser un peu plus de vin, elle arrête mon geste :
— Doucement. Il vaut mieux que je garde la tête froide.
Je hausse un sourcil.
— Pourquoi ça ? Je pense plutôt qu’il faut te détendre si tu veux faire des folies.
Elle pince tristement les lèvres.
— Je ne suis pas sûre d’avoir envie de faire des folies, justement.
Je vais me positionner à ses côtés et je passe une main derrière ses épaules. Je rive mes yeux sur elle via le reflet que nous renvoie le miroir.
— Tu es magnifique, Romy, certifié-je. Les gars vont se bousculer pour avoir droit à ton attention. Oublie Billy à la queue baladeuse et trouve-toi un vrai amant. Un gars chaud comme la braise, doué avec une bouche qui sait quoi faire avec ton clito.
Elle rit timidement.
— C’est vrai que Billy n’était pas très doué dans ce volet.
— Tu vois que tu n’as rien perdu ? C’est le moment de tester tes charmes, ma belle ! Éclate-toi un peu !
Malgré son sourire, je la sens toujours aussi nerveuse.
— Le premier gars qu’on baise après une rupture, c’est toujours le plus difficile, dis-je encore.
Elle tourne un regard intrigué vers moi.
— Tu n’as jamais été en couple, me fait-elle remarquer.
— Bien sûr que oui, la contredis-je. Je suis sorti quinze jours avec Ben, tu te souviens ? Et presqu’un mois avec John aussi.
— Le mégalo, c’est vrai !
J’hésite avant de lui confier :
— C’est vrai que je n’ai pas beaucoup d’expérience en ce domaine, mais je sais ce que c’est quand on espère que l’autre revienne. Et toi, tu as besoin de fermer le dossier Billy. Même s’il te rappelle en braillant, tu ne dois pas lui donner de seconde chance, compris ? C’est un con et il a merdé, fin de la discussion.
Elle me scrute, visiblement étonnée que je lui parle de la sorte. J’en profite pour remplir son verre de vin.
— Allez, bois ! Ça te mettra dans de meilleures dispositions pour supporter les idiots qui vont venir te draguer. Et puis, les drinks, là-bas, sont bien plus chers, alors autant en profiter ici.
J’aime quand elle rit, quand elle boit, quand elle oublie cet idiot de Billy. Je ne sais pas si elle aura le courage de se jeter à l’eau avec un parfait inconnu, ce soir, mais au moins, je compte m’assurer qu’elle passe une bonne soirée. Peut-être même que je téléphonerai à quelques beaux gars de ma liste pour qu’ils viennent la courtiser, la semaine prochaine. Dans la situation, un peu d’aide, ça ne se refuse pas.
Chapitre 6
[Romy]
Je regrette déjà les chaussures que j’ai mises quand j’entre au Sky. Comment vais-je danser avec ça aux pieds ? Je suis Clara qui agit comme si elle connaissait l’endroit, même si elle m’a affirmé qu’elle y venait pour la première fois. Elle zigzague jusqu’au vestiaire où nous laissons nos manteaux et me guide jusqu’au bar où elle commande des shooters.
— J’ai déjà pas mal bu, lui rappelé-je.
— Assez pour laisser un idiot te tripoter sur la piste de danse ?
Je grimace devant cette question, ce qui lui fournit un début de réponse.
— Allez, bois, ordonne-t-elle.
Nous trinquons et j’avale ma part avant de tousser devant la force de l’alcool.
— C’est quoi ça ?
— De la Tequila. C’est simple, efficace, et ça saoule vite.
Elle me fait mordre dans un citron, puis me prend par la main afin de m’entraîner dans la foule. Quand elle s’arrête, elle se tourne face à moi et commence à se déhancher sur le son de la musique rythmée. Je ne sais même pas ce que c’est, mais j’essaie de l’imiter. Contrairement à moi, Clara est rayonnante, sexy, sûre d’elle. J’ai beau porter une robe qui lui appartient, je n’ai pas la moitié de sa confiance.
— Je suis tellement gauche, constaté-je au bout de trois minutes.
— Mais non ! Ferme les yeux et fais semblant ! Imagine que tout le monde te regarde et te désire ! Tu vas voir, tes mouvements vont devenir plus gracieux. Montre-leur que t’es chaude, allez !
Elle se remet à onduler des hanches en levant ses bras dans les airs pour créer un mouvement de vague. Elle est magnifique. Jamais je ne pourrai attirer le moindre regard sur ma personne si je reste à côté d’elle, mais je me fie à ses conseils et je ferme les yeux dans l’espoir que mes gestes deviennent plus gracieux. Je suis le rythme sans me soucier des autres. Je feins d’être belle, populaire, capable d’attirer tous les regards. Au bout de quelques minutes, j’ose ouvrir les yeux et remarque qu’on m’observe. Des hommes s’approchent de Clara et moi, ils dansent avec nous. L’un d’eux se frotte contre mon flanc.
Ça fonctionne !
Ma copine me sourit et me fait un clin d’œil complice sans s’arrêter de bouger. Je continue de danser. Elle a raison. C’est agréable de se sentir désirer.
Alors que celui qui se frottait contre moi essaie de glisser une main sur ma taille, Clara s’accroche à ma main et me tire vers elle pour l’empêcher de le faire. Devant mon regard interrogateur, elle s’explique :
— On ne prend jamais le premier venu.
J’aime bien son conseil et elle tourne sur elle-même avant de revenir m’en prodiguer de nouveaux :
— Tu te promènes, tu danses quelques minutes avec l’un avant de passer à l’autre. Quand un gars te plaît, tu l’aguiches d’un sourire sans t’avancer vers lui. Laisse-les faire les premiers pas. Je te montre ?
Je fais oui de la tête et elle s’éloigne en dansant. Je la vois qui frotte ses fesses sur un gars avant de continuer plus loin. Je suis forcée de la suivre pour vérifier ce qu’elle fait. D’une main, elle soulève ses cheveux et je la vois qui lance un regard appuyé à un joli brun, plus loin. En moins de deux, il rapplique et je les observe pendant qu’ils dansent ensemble. Je sursaute quand un homme revient me faire son petit numéro. Je souris devant son attention et j’en oublie Clara afin de profiter du moment, moi aussi. Au bout de dix secondes, il se penche :
— T’as un nom, ma jolie ?
— Euh…
Clara s’interpose entre lui et moi avant de m’attirer vers elle.
— Désolée, je te la pique !
Elle empoigne mon avant-bras et m’éloigne du gars en question.
— Ne laisse jamais les hommes croire qu’ils décident, reprend-elle. C’est toi qui fais la loi.
Je me rends jusqu’au bar où elle fait signe au barman de nous servir en shooter.
— Si tu laisses un gars prendre le dessus, tu vas te sentir forcé de coucher avec lui, et ça, c’est la pire erreur que tu puisses faire. Sois volage et laisse-les attendre. Rien ne presse après tout.
Dès que le barman dépose les verres devant elle, Clara lui sourit.
— Pas vrai, mon mignon ?
— Tout à fait, rétorque-t-il.
Je ne suis même pas sûre qu’il ait entendu le moindre mot de notre conversation, mais c’est vrai qu’il est bel homme. Dire que Clara arrive à lui faire son numéro juste en un regard. Suis-je seulement capable d’en faire autant ? Dès qu’il s’éloigne, nous trinquons, mais au lieu de me ramener sur la piste, elle poursuit :
— Si jamais tu songes à te faire un gars ce soir, choisis quelqu’un de mignon, mais pas de trop beau.
Étonnée, je la scrute.
— Pourquoi ça ?
— Les gars trop beaux ne pensent qu’à leur queue. S’ils le pouvaient, ils se prendraient probablement en selfie pendant qu’ils te baisent.
Dès que je grimace, elle ajoute :
— Je n’ai pas dit de prendre un gars laid, non plus. Mais prends quelqu’un qui arrive à te séduire avec un regard ou un sourire. Et fais-le attendre un peu avant de lui offrir la chance de te raccompagner.
Elle tourne la tête et je comprends qu’elle cherche le barman auquel elle refait signe.
— Encore deux, mon mignon.
Il dépose des quartiers de citron et une salière devant nous, puis deux petits verres dans lesquels il vient verser la Tequila directement.
— C’est la première fois que vous venez ici ? Lui demande-t-il.
Clara rit.
— Voilà une phrase qui n’est pas très originale, lui fait-elle remarquer.
— Non, mais… c’est une vraie question, insiste-t-il.
— C’est la première fois, oui, m’empressé-je de rétorquer.
Dès qu’elle tend sa carte pour payer, il refuse d’un geste de la main.
— Cadeau. Pour vous souhaiter la bienvenue, explique-t-il.
Visiblement ravie, Clara lèche son poignet en maintenant son regard sur le barman, puis vient verser du sel dessus et le lèche à nouveau avant de vider son verre de Tequila. Elle croque même dans son citron sans jamais détourner les yeux de l’homme. J’admire son assurance. Sa façon de rendre ses gestes incroyablement sexy aussi. Alors que je tente de l’imiter, je remarque que ma copine a oublié jusqu’à ma présence. Elle s’enquiert du nom du joli barman que j’entends à peine avec cette musique. Raphaël.
— Raph, résume-t-elle. Merci pour le drink.
Quand elle pivote vers moi, un rire m’échappe.
— Tu pourrais repartir avec n’importe qui en claquant des doigts, constaté-je.
Elle lève les yeux au ciel.
— Mais non, allons ! Et puis, je ne suis pas là pour moi, mais pour toi, me rappelle-t-elle.
Je n’ose lui dire qu’à ses côtés, mes chances de trouver un garçon intéressant diminuent drastiquement. Et peut-être s’en doute-t-elle, car elle me fait signe de retourner sur la piste.
— Va danser. Moi, je te surveille d’ici.
Sur le point de repartir de mon côté, elle me pointe de son index.
— Tu ne les laisses pas te tripoter. Et c’est toi qui choisis qui a le droit de danser avec toi ou non.
Je hoche la tête, même si cela me paraît complexe. Dès que je repars dans la foule, j’oublie qui je suis et je fais semblant d’être Clara. Une femme sûre d’elle, capable de séduire d’un simple regard. Je teste un sourire sur un joli danseur qui vient partager quelques pas avec moi. Très vite, je m’esquive et je recommence mon petit manège ailleurs. Hé ! Ça fonctionne ! Au bout de dix minutes, j’ai la sensation que je suis entourée d’hommes qui n’attendent qu’un geste de ma part…